Porter la fourrure aujourd’hui: à la rencontre des irréductibles

Paris 15 décembre 2024. Il fait frais, le temps est maussade, mais l’ambiance festive des fêtes se fait sentir. Les gens sont bien emmitouflés au marché de Noël des Tuileries et un peu partout dans la ville. Les femmes, élégantes, portent des capes en laine, de longues redingotes et le comble du luxe, la fourrure. Quiconque qui posait son regard quelques instants sur la foule pouvait remarquer que l’esthétique « mob wife » ou « femmes de la mafia » est bel et bien rendue dans les rues parisiennes. En 2022, selon un sondage Ipsos, 89% des Française-es sont opposé-e-s au commerce de la fourrure. Depuis des dizaines d’années, des manifestations contre l’exploitation de la fourrure ont eu lieu aux quatre coins de la planète : on a exposé la maltraitance dans les élevages d’animaux gardés en captivité pour leur poil et suite à cela, des endroits tels que la Californie et des marques comme Kering, Armani et Max Mara ont banni son usage et on fait place à des fibres synthétiques. Pourtant, on continue de la porter partout dans le monde et ici, au Canada, plusieurs raisons poussent les gens à choisir la fourrure que ce soit pour l’usage personnel ou bien pour la vente au détail.

 

Il y a des endroits, au Nord, que bien des gens n’auront jamais l’occasion d’en voir l’immensité et de sentir le vent arctique foudroyer leurs joues à -60 degrés Celsius. Le froid extrême et la noirceur sont bien présents pendant plusieurs mois. C’est dans l’un de ces villages que Maria Quqsuut est née, à Rankin Inlet, au Nunavut. « Depuis aussi longtemps que je me souvienne, la fourrure a toujours été présente dans ma vie, dit Maria. Nous habitons dans un des endroits les plus arides au monde et nous avons besoin de la fourrure pour nous garder au chaud dans le froid extrême, la neige et le vent. » Depuis qu’elle peut utiliser une aiguille et un fil sans se blesser, elle coud. Tout d’abord des habits pour ses poupées Barbie, elle fabrique depuis longtemps des parkas traditionnels inuits pour elle mais aussi pour les gens de sa communauté et les nouveaux résidents qui arrivent. Elle se demande pourquoi il y a tant de questionnement autour de la fourrure et beaucoup moins autour du cuir. En tant que femme inuite, elle parle de la relation avec les animaux chassés et pêchés dans le plus grand respect. Elle explique que lorsqu’un phoque est chassé, de la neige est fondue dans la bouche du chasseur et est donnée dans la bouche de l’animal, pour le remercier. C’est une façon de montrer le respect envers ce dernier pour la nourriture à manger et la fourrure à porter.

 

C’est dans la même optique que Samuel Bilodeau, président-directeur général de l’entreprise Bilodeau Canada, à Normandin, au Lac Saint-Jean, parle de la trappe d’animaux comme faisant partie d’un grand écosystème qui est sain pour la planète, lorsqu’il est contrôlé et règlementé. Grand amant de la nature, de la pêche et de la chasse, M. Bilodeau a pris la relève de l’entreprise de son oncle, Mario Bilodeau en 2022. Fabricant d’accessoires, de bottes et de manteaux de fourrure depuis plus de vingt ans, il mentionne que tout est fait dans l’usine à Normandin, de la conception à la fabrication. « Il n’y a que quelques semelles qui sont collées à Québec », mentionne le jeune PDG de 32 ans. En regardant sur leur site internet, on peut voir qu’un volet taxidermie est présent et qu’il prend environ 25% de leurs activités.  Selon lui, le métier de taxidermiste est celui d’un artiste et ce qui est créé par Bilodeau Canada et son équipe est passionnant. Angelo Gagnon est l’un d’entre eux et est reconnu mondialement dans le domaine. « Si tu voyais tout ce qu’on fait, hier je travaillais sur un film avec Paramount Pictures en Nouvelle-Zélande, il y a deux mois c’était avec Netflix », dit-il en parlant de son équipe. Le métier de taxidermiste est extrêmement rare et c’est pour cela que la compagnie a décidé de former à l’interne. Pour s’approvisionner en fourrures, ils en achètent à ceux qui les vendent et non l’inverse : commander une fourrure d’un animal spécifique et dans une quantité demandée est illégal au Canada. « Chaque année, il y a un niveau de fourrures qui se récolte au Canada et aux États-Unis et le prix est balancé selon le marché mondial », soulève M. Bilodeau. Il préfère acheter des trappeurs des environs. Que répond t ’il aux protestataires qui lui demandent pourquoi ils tuent des animaux pour fabriquer leurs produits? « Nous, on ne tue rien, on aime bien mieux les animaux en vie que mort, dit-il. Un trappeur est un gestionnaire de la faune ». Il poursuit : « La fourrure est une ressource naturelle renouvelable qui peut être utilisée et on a la chance au Canada d’avoir un des systèmes de gestion de la faune des plus efficaces au monde, quand on permet qu’un animal ou un poisson soit pêché ou chassé, c’est du contrôle de gestion de la population ». Il donne l’exemple d’une famille de loutre qui s’installe dans un lac et qui mange tout le poisson, il doit y avoir une notion d’équilibre des écosystèmes et de contrôle pour éviter la surpopulation, les épidémies et les maladies. En plus de leur durabilité, une botte de fourrure d’hiver peut durer plusieurs dizaines d’années, M. Bilodeau mentionne le fait que la fourrure, lorsqu’elle à la fin de son cycle de vie, retourne à la terre, puisqu’elle est biodégradable, comparativement à beaucoup d’imitation de fourrure qui produisent des microparticules de plastique et ne réintègre pas la nature, en plus de fournir une chaleur et une protection inégalée. 

 

Pour Erika Navia et Keven Lemonnier, le travail de la fourrure recyclée est né de la chaleur incomparable qu’a procurée à Érika un manteau de fourrure trouvé en friperie. Arrivée de la Colombie il y a cinq ans, rien n’arrivait à mieux la réchauffer. FREK Atelier, un atelier boutique de création d’accessoires de fourrures recyclés, basé à Montréal, est né du désir de récupération : voyant sa collection de manteaux augmenter, elle eut l’idée, avec son conjoint, d’en faire des accessoires tels que des housses de coussin, des chouchous à cheveux mais aussi leur plus grand vendeur, les étoles. Il arrive parfois qu’il y ait des commentaires face à l’utilisation de fourrure. « Vu que c’est du recyclé, ça passe mieux, déclare Keven. À Montréal, c’est plus difficile, mais ailleurs, c’est mieux. Les gens font des commentaires mais ensuite il y a discussion. »

 

Malgré l’engouement de la fourrure des dernières années, il y a encore de l’éducation à faire, selon les gens travaillant dans le milieu, mais cela n’empêche pas les entrepreneurs d’avoir des rêves d’expansion.

Photo: Sarah Paquin-Lamontagne

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